
Q: Pourquoi mettre en avant la Sagesse aujourd’hui et par là même créer avec Anne Moradpour les Assises de la Sagesse ?
R: J’ai répondu à cela dans le texte fondateur des Assises. J’avais écrit en 2009 un article en deux parties intitulé Retrouver la Sagesse ―1 la fin d’un illusion ― 2 Les semeurs du Vivant. En le relisant, j’y retrouve l’essentiel de ce que je souhaite communiquer et je vous remercie de le republier. D’ailleurs depuis 2009 de nombreux évènements n’ont fait que confirmer l’urgente nécessité d’un retour à la Sagesse.
Q: Reste à définir ce qu’est la Sagesse ?
R: Bien sûr, le brouillard artificiel entourant le sacré nous noie dans le flot de ce que chacun peut en dire ou en penser. Renvoyant ainsi dos à dos la vérité et l’erreur, provocant l’incapacité de distinguer clairement entre l’une et l’autre (les « réseaux sociaux » en sont un exemple manifeste).
Ce marais dans lequel surnagent les vendeurs d’illusion (et le monde de la pseudo- spiritualité en fournit un grand nombre) doit être asséché. La Sagesse, comme toute chose, est liée à des principes lui donnant sens et déterminant sa valeur. Nous n’évoquons pas la sagesse populaire, ou le simple bon sens, bien qu’ils possèdent une valeur intrinsèque. Nous évoquons la Sagesse en tant que corollaire de la Vérité mais aussi comme moyen pour parvenir jusqu’à Elle.
La Vérité, il n’y a pas si longtemps encore, occupait une place centrale dans la conscience humaine (en Occident, voir la Grèce antique). La Sagesse fut la valeur la plus haute, le but à atteindre en tant qu’homme et en tant que rayonnement civilisationnel. Car la Vérité-Sagesse est une connaissance mais aussi une force permettant préserver les équilibres du Vivant ― ne pas laisser nos egos dévaster nos vies et celles des autres.
Q: La Sagesse peut donc nous accompagner sur le plan sociétal et individuel ?
R: Qui peut nous aider à dépasser les tyrannies ignorantes et agressives de l’animalité qui sont en nous, si non ce qui est au-delà de la dimension individuelle ? Ainsi la sagesse originelle (sophia), la vierge de l’hermétisme (Cf. Jacob Boehme), ne relève pas d’un simple savoir humain, mais d’une dimension « supra humaine », l’équivalent de la connaissance métaphysique nourrissant l’œuvre de René Guenon et dont il fut un témoin privilégié. C’est la Science Sacrée dont parlent les Sages de toutes les traditions : le Cheikh Al Alawî écrit même que l’on peut se passer de tout, exceptée d’elle. Pour ma part, elle a bouleversé ma vie et m’a ouvert les yeux les nombreuses duperies de la mentalité moderne.
Q: Notre façon de vivre aujourd'hui n'est-ce pas l'inverse: agir sans tenir compte de la Sagesse ?
R: Précisément. Et ne pas avoir compris l’importance vitale de la Sagesse a une conséquence : nous contraindre à une lecture figée du Vivant. Nous demeurons enchainés aux préjugés d'une myopie intellectuelle. Celle qui nous conduit à vive allure vers un désastre annoncé. Ayant perdu le transcendant ― la lumière métaphysique ― tels les prisonniers de la caverne de Platon, nous ne percevons le réel que par l’ombre illusoire projetée dans nos existences. Telle est l’origine du drame que nous vivons : nos certitudes s’effritent, le doute grandit, de nouvelles crises menacent ; parvenus à ce point, rappelons-nous ce que René Guénon écrivait dans la Crise du Monde Moderne : « Si nos contemporains voyaient réellement ce qui les conduit et où cela les amène, cet état de confusion cesserait immédiatement ».
Face aux enjeux immédiats et pour les générations futures, n’est-il pas temps de produire cet effort ?
Philippe Yacine Demaison
Décembre 2020